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Le rêve permet l’expression corporelle


Pascal Quignard est un écrivain français, et, le thème du rêve semble être important pour lui car il apparaît dans bon nombre de ses oeuvres. Lorsqu’il dit, dans le petit traité sur Méduse, « la nuit est à la source des mots : le rêve qui hallucine des choses qui ne sont pas les fait naître » l’auteur affirme que les songes amènent la parole par le biais des mots, et qu’ils permettent de créer des choses qui n’existaient jusqu’alors pas. La citation de l’auteur démontre alors une influence du
rêve sur la réalité.

Nous pouvons prendre pour exemple l’expérience personnelle d’un ami, Arnaud, pour illustrer ces propos : il a fait un rêve érotique, après avoir passé une soirée chez lui avec trois amis dont deux filles, à parler, rire et jouer au strip pendu (Le jeu du pendu classique, mais à chaque erreur on retire un vêtement). Durant ce songe se déroulait donc une scène charnelle avec les deux filles. Ce rêve érotique a fait naître en lui un fantasme nouveau, car aujourd’hui il sait son attirance physique et personnelle par l’une d’entre elles alors qu’il n’en était pas conscient avant, bien qu’elle existait déjà dans son inconscient. Il remet d’ailleurs sa vie actuelle en question : son rêve a fait naître en lui des sentiments jusqu’alors inexistants. Le rêve permettrait de faire naître des fantasmes absents ou inconnus dans la vie du rêveur tels que des sentiments, des ambitions, des envies, des désirs, de l’espoir, de nouvelles perspectives de vision …etc.

D’ailleurs Freud dit, dans son oeuvre l’interprétation de rêves : « nous rêvons de ce que vous avons vu, dit, désiré ou fait (…) L’expérience confirme notre affirmation que le plus souvent nous rêvons des objets de nos passions les plus ardentes. On voit donc que nos passions doivent influer sur la formation de nos rêves. L’ambitieux rêve des lauriers obtenus (peut-être dans sa seule imagination) ou encore à obtenir, tandis que l’amoureux s’occupe dans ses rêves de l’objet de ses plus chères espérances. Tous les désirs et toutes les aversions sensibles qui sommeillent dans notre coeur peuvent, à condition d’être excités par une cause quelconque, faire naître un rêve des représentations qui leur sont associées, ou mêler ces représentations à un rêve déjà construit. »

Dans Villa Amalia, Pascal Quignard dit : « confier à l’autre son sommeil est peut-être la seule impudeur. Laisser se regarder en train de dormir, d’avoir faim, de rêver, de se tendre, de s’évaser, est une étrange offrande. Une incompréhensible offrande ». Ainsi, lorsqu’on rêve notre corps s’exprime pour nous ; il s’agit certainement d’une transcription gestuelle de ce que nous vivons spirituellement. Il s’agit alors du langage corporel.

Nous pouvons prendre pour exemple un rêve personnel : mon frère aîné me plantait un couteau au sommet du crâne, j’ai ressenti la douleur à la fois physiquement et spirituellement. Ainsi, je pense m’être débattue dans mon lit comme c’était le cas dans mon songe car au réveil la couette jonchait sur le sol, les draps étaient défaits, mon oreiller mouillé, mes joues humides et mes yeux bouffis. Il en est de même lorsque l’on fait un rêve de type cauchemardesque et que l’on se réveille en sursautant, trempé de sueur et suffoquant ; par exemple, une nuit j’ai rêvé que je me faisais torturer physiquement par l’un de mes amis : j’étais dans la peau d’un requin attachée par les pieds, il m’éventrait alors que j’étais toujours vivante, ainsi je pouvais le voir me vider de mes entrailles. J’essayais de crier sans y parvenir, j’étais effrayée, et je me suis réveillée en sursaut couverte de sueur et ne pouvant plus respirer, les draps par terre à nouveau.

Hanns Hurth parle du mouvement nocturne, des gestes que l’on peut faire durant notre
sommeil, dans son Dictionnaire des rêves : « Normalement, le corps de la personne qui dort ne participe que peu à l’action du rêve. L’enfant, tout comme l’adulte, peut courir, lutter, combattre, bondir en rêve, sans que les zones du cerveau qui, à l’état de veille, commandent les mouvements du corps, prennent une part active à l’action rêvée. Ce qui manque, c’est par conséquent, le couplage de la vision avec les centres réglant le mouvement. A l’issue d’un rêve obsédant, la personne qui vient de se réveiller peut, par exemple, hors de tout contrôle de la raison, sauter par une fenêtre, du fait qu’elle n’est plus en mesure de distinguer le rêve de la réalité. »
Il ajoute aussi : « les rêves peuvent provoquer de l’angoisse, de la joie, du bien-être, de la jouissance, ils peuvent même apporter un soulagement à l’âme quand, par exemple, une menace est vécue et, de la sorte, extraite des profondeurs du subconscient et rendue inopérante. (…) Tout ce qui a été refoulé et n’est pas encore remonté au niveau de la conscience claire, se situe dans l’inconscient. (…) L’âme trouve dans le sommeil des visions de remplacement, mais elle se rend bientôt compte que celles-ci sont une tromperie et les mêmes conflits réapparaissent sous une forme semblable. » Ce qui explique pourquoi à l’issue d’un songe, le rêveur qui se réveille peut avoir toute sorte de réaction : pleurer, rire, avoir peur. Il s’agit là d’une continuité de réactions, on peut aisément imaginer qu’il était dans le même état durant son rêve. Dans ce cas, nous pouvons parler de réaction sonore suite à notre vie nocturne lorsque l’on se réveille en criant ou en pleurant dans la réalité et non plus seulement dans le rêve.

Afin d’illustrer ce dernier point, nous prendrons un autre exemple personnel : après le décès de mon grand-père paternel, dont je n’ai pu assister aux funérailles, j’ai rêvé qu’il mourait dans mes bras après m’avoir dit adieu. Je me suis alors réveillée perdue, avec un sentiment de vide, une douleur dans la poitrine et inconsolable. En terme d’expression corporelle, nous pouvons aussi évoquer brièvement le somnambulisme qui signifie du latin « se promener en dormant ». Les personnes atteintes de ce trouble du sommeil déambulent donc inconsciemment généralement les yeux ouverts, ce qui explique pourquoi Katherine Debelle les appelle « les flâneurs de la nuit » dans son ouvrage Le grand dictionnaire des rêves. Il s’agit d’un automatisme qui se déroule durant le rêve, le « somnambule obéit à un ordre dicté par la voix de son inconscient, celui-ci influe sur sa conduite et lui fait accomplir certains actes qu’il ne ferait pas la plupart du temps à l’état de veille (…) je dirais que leur nature profonde est plongée dans le sommeil pendant qu’à leur insu, l’inconscient bien conscient dirige la manoeuvre en gérant divinement bien les obstacles de la réalité. »
Il peut ainsi effectuer de simples mouvements tels que se déplacer, monter ou descendre les escaliers sans être forcément en danger ou bien un danger pour autrui. Au réveil le somnambule ne se souvient généralement pas de son petit voyage nocturne.

La transcription sonore peut aussi être présente durant le sommeil du rêveur, sans qu’il ne s’en aperçoive forcément. Comme pour la transcription gestuelle, le cerveau en veille est toujours en marche, et le corps réagit. Ainsi, il arrive que le rêve influence la vie réelle, à tel point que nous émettons des sons, que nous gémissons, que nous baragouinons des mots incompréhensibles, ou que nous parlons de façon audible et compréhensible durant nos songes. L’action de parler inconsciemment durant son sommeil est de la somniloquie, à ne pas confondre avec somnambulisme. Hélène Bastuji, neurologue, dit que lorsqu’une personne est somniloque elle l’est depuis son enfance, et parle en dormant généralement lorsqu’elle est fatiguée, fébrile ou encore perturbée, et quasiment exclusivement dans sa langue maternelle même si elle est plurilingue. La somniloquie « peut apparaître spontanément ou [être] provoquée par une conversation avec le dormeur. » De plus, comme pour le somnambule, au réveil le somniloque ne se souvient pas de ses conversations nocturnes.

Afin d’illustrer les propos de la neurologue, nous allons prendre un exemple personnel : une nuit, en Espagne avec mes cousines, je dormais paisiblement. A mon réveil, mon lit était mouillé. C’est en les questionnant, qu’elles m’ont raconté ce qu’il s’était passé durant mon sommeil : elles ont commencé par me parler, de tout et n’importe quoi, notamment de pizza. Elles m’ont prise en photo, et ont voulu faire un test en mettant mon auriculaire dans un verre d’eau, le but étant de voir si j’allais m’uriner dessus. Le test a finalement échoué, et d’après leurs dires, je me serais levée énervée, j’aurais allumé la lumière, crier sur elles, éteint la lumière, et me serais recouchée immédiatement. À mon réveil, je ne me souvenais de rien. Dans ce cas précis, nous pouvons parler de somniloquie, certes, mais peut-être aussi de somnambulisme car j’avais les yeux ouverts, et je semblais être consciente alors qu’en réalité j’étais plongée dans un profond sommeil.

Nous pouvons prendre pour exemple, afin d’illustrer les gémissements, le cauchemar qu’un ami, Thibault, a souhaité partager : « J’ai rêvé qu’à la stupeur de tout mon entourage (amis et famille), je décidais de changer de mode de vie et de me retrancher tout en haut d’une tour, dans un studio minuscule, où il n’y avait aucun moyen pour communiquer avec le monde extérieur, uniquement des livres. J’ai vécu quelques temps comme ça, malgré toutes les incitations de mon entourage à retrouver une vie sociale. Petit à petit les gens s’intéressaient de moins en moins à moi, jusqu’à ce que je tombe dans l’anonymat, si ce n’est certains qui me jugeaient en disant que je m’étais enfermé dans un autre monde, hors-réalité. Un jour, j’étais obligé de descendre dehors et en marchant dans les rues je me suis senti complètement déconnecté, avec beaucoup d’appréhension en retrouvant ce monde. » Lors de son songe il dit avoir gémi et peut-être même parlé car il croit avoir entendu sa propre voix le ramener à la réalité en le réveillant. Durant son rêve il avait une sensation pesante et dérangeante, et au réveil il s’est senti bouleversé et mal à l’aise vis à vis de l’incompréhension du monde extérieur. Il faut savoir que cette personne passe un concours, très important pour son avenir, cette année qui se déroule en plusieurs épreuves (QCM, écrites, orales, sportives). Etant stressé, il s’isole facilement en ce moment. Il s’agirait là très certainement d’une extériorisation du rêve dans la réalité.

Le rêve permettrait donc la parole. Il est probable que ces trois types de réaction durant le rêve soient en réalité l’impact de quelque chose de réel et concret dans la vie du rêveur, il s’agirait donc d’une influence de la vie réelle sur le rêve. D’ailleurs, Thibault ajoute : « Comment ne pas faire le lien avec la pesante solitude avec laquelle je suis obligée de composer pendant que je passe mon concours ? » Ainsi, pour rejoindre les propos de la neurologue, nous pouvons expliquer cette réaction sonore car il était perturbé au moment de son songe.

EN CONCLUSION :

« Le rêve n’est pas né du langage »
J.Paulhan, Les Fleurs de Tarbes, ou la Terreur dans les lettres.




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